Bonnefoy, «La poesia sgorga da profondità inconsce e non da fatti contingenti: è sempre un gesto del tutto imprevisto e imprevedibile»

Yves Bonnefoy

Je ne savais dormir sans toi, je n’osais pas
Risquer sans toi les marches descendantes.
Plus tard, j’ai découvert que c’est un autre songe,
Cette terre aux chemins qui tombent dans la mort.
Alors je t’ai voulue au chevet de ma fièvre
D’inexister, d’être plus noir que tant de nuit,
Et quand je parlais haut dans le monde inutile,
Je t’avais sur les voies du trop vaste sommeil.
Le dieu pressant en moi, c’étaient ces rives
Que j’éclairais de l’huile errante, et tu sauvais
Nuit après nuit mes pas du gouffre qui m’obsède,
Nuit après nuit mon aube, inachevable amour.

Je me penchais sur toi, vallée de tant de pierres,
J’écoutais les rumeurs de ton grave repos,
J’apercevais très bas dans l’ombre qui te couvre
Le lieu triste où blanchit l’écume du sommeil.
Je t’écoutais rêver. Ô monotone et sourde,
Et parfois par un roc invisible brisée,
Comme ta voix s’en va, ouvrant parmi ses ombres
Le gave d’une étroite attente murmurée!
Là-haut, dans les jardins de l’émail, il est vrai
Qu’un paon impie s’accroît des lumières mortelles.
Mais toi il te suffit de ma flamme qui bouge,
Tu habites la nuit d’une phrase courbée.
Qui es-tu? Je ne sais de toi que les alarmes,
Les hâtes dans ta voix d’un rite inachevé.
Tu partages l’obscur au sommet de la table,
Et que tes mains sont nues, ô seules éclairées! Continua a leggere

Yves Bonnefoy (1923 – 2016)

Yves Bonnefoy (ANSA)

Je ne savais dormir sans toi, je n’osais pas
Risquer sans toi les marches descendantes.
Plus tard, j’ai découvert que c’est un autre songe,
Cette terre aux chemins qui tombent dans la mort.
Alors je t’ai voulue au chevet de ma fièvre
D’inexister, d’être plus noir que tant de nuit,
Et quand je parlais haut dans le monde inutile,
Je t’avais sur les voies du trop vaste sommeil.
Le dieu pressant en moi, c’étaient ces rives
Que j’éclairais de l’huile errante, et tu sauvais
Nuit après nuit mes pas du gouffre qui m’obsède,
Nuit après nuit mon aube, inachevable amour.

Je me penchais sur toi, vallée de tant de pierres,
J’écoutais les rumeurs de ton grave repos,
J’apercevais très bas dans l’ombre qui te couvre
Le lieu triste où blanchit l’écume du sommeil.
Je t’écoutais rêver. Ô monotone et sourde,
Et parfois par un roc invisible brisée,
Comme ta voix s’en va, ouvrant parmi ses ombres
Le gave d’une étroite attente murmurée!
Là-haut, dans les jardins de l’émail, il est vrai
Qu’un paon impie s’accroît des lumières mortelles.
Mais toi il te suffit de ma flamme qui bouge,
Tu habites la nuit d’une phrase courbée.
Qui es-tu? Je ne sais de toi que les alarmes,
Les hâtes dans ta voix d’un rite inachevé.
Tu partages l’obscur au sommet de la table,
Et que tes mains sont nues, ô seules éclairées!

*
Non sapevo dormire senza di te, non osavo
Senza di te affrontare i gradini declivi.
Più tardi ho scoperto che questo è un altro sogno,
La terra dai precipiti sentieri nella morte.
Ti ho voluta allora al capezzale della mia febbre
Di non esistere, d’essere nero più di tanta notte,
E quando nel mondo inutile parlavo ad alta voce,
Avevo te, sulle vie del troppo vasto sonno.
Il dio in me urgente erano rive che rischiaravo
Con l’olio errante, ed eri tu a salvare i miei passi
Di notte in notte dalla voragine d’angoscia,
Di notte in notte, tu, alba, senza fine amore. Continua a leggere

“Ophélie” di Rimbaud nella traduzione di Diana Grange Fiori

Ophélie

I

Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélie flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…
– On entend dans les bois lointains des hallalis.

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir.
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.

Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux.

Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle;
Elle éveille parfois; dans un aune qui dort,
Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile:
– Un chant mystérieux tombe des astres d’or.

II

Ô pâle Ophélie! belle comme la neige!
Oui, tu mourus, enfant, par un fleuve emporté!
– C’est que les vents tombant des grands monts de Norwège
T’avaient parlé tout bas de l’âpre liberté;

C’est qu’un souffle, tordant ta grande chevelure,
À ton esprit rêveur portait d’étranges bruits;
Que ton cœur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits;

C’est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d’enfant, trop humain et trop doux;
C’est qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s’assit muet à tes genoux!

Ciel! Amour! Liberté! Quel rêve, ô pauvre Folle!
Tu te fondais à lui comme une neige au feu:
Tes grandes visions étranglaient ta parole
– Et l’Infini terrible effara ton œil bleu!

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Yves Bonnefoy, nella traduzione di Diana Grange Fiori

Yves Bonnefoy

 

Estate di notte

I

Mi sembra, stasera,
Che più vasto il cielo stellato
A noi si avvicini; e la notte
sia dietro tanti fuochi meno oscura.
Splendono anche le fronde sotto le fronde,
Si è ravvivato il verde, e l’arancio dei frutti maturi,
Lume d’angelo prossimo; un bàttito
D’occulta luce coglie l’albero universale.
A me sembra, stasera,
Che siamo entrati nel giardino, e l’angelo
Ne ha richiuso le porte senza ritorno.

II

Vascello di un’estate,
E tu come alla prua, come si chiude il tempo,
Sciorinando stoffe dipinte, sussurrando.
In quel sogno di maggio
L’eternità saliva tra i frutti dell’albero
E io ti offrivo il frutto che fa illimitato
L’albero senz’angoscia né morte, di un mondo condiviso.
Vagano i morti lontano al deserto di schiuma,
Non c’è deserto più se tutto è in noi,
Non c’è più morte, se le mie labbra sfiorano
L’acqua di una similitudine diffusa sul mare.
Oh sufficienza dell’estate, io t’ebbi pura
Come l’acqua mutata dalla stella, come un fruscìo
Di schiuma sotto i passi dove risale della sabbia
Un chiarore a benedire i nostri corpi senza luce.

 

 

L’été de nuit

I

Il me semble, ce soir,
Que le ciel étoilé, s’élargissant,
Se rapproche de nous; et que la nuit,
Derrière tant de feux, est moins obscure.
Et le feuillage aussi brille sous le feuillage,
Le vert, et l’orangé des fruits mûrs, s’est accru,
Lampe d’un ange proche; un battement
De lumière cachée prend l’arbre universel.
Il me semble, ce soir,
Que nous sommes entrés dans le jardin, dont l’ange
A refermé les portes sans retour.

II

Navire d’un été,
Et toi comme à la proue, comme le temps s’achève,
Dépliant des étoffes peintes, parlant bas.
Dans ce rêve de mai
L’éternité montait parmi les fruits de l’arbre
Et je t’offrais le fruit qui illimite l’arbre
Sans angoisse ni mort, d’un monde partagé.
Vaguent au loin les morts au désert de l’écume,
Il n’est plus de désert puisque tout est en nous
Et il n’est plus de mort puisque mes lèvres touchent
L’eau d’une ressemblance éparse sur la mer.
Ô suffisance de l’été, je t’avais pure
Comme l’eau qu’a changée l’étoile, comme un bruit
D’écume sous nos pas d’où la blancheur du sable
Remonte pour bénir nos corps inéclairés. Continua a leggere